L’événement cinématographique du moment est « Dune – 1ère partie » de Denis Villeneuve.
Je suis donc sorti de ma tanière et l’ai vu hier.
Je vous livre mon avis sur la question après l’affiche.
Même si je ne spoile pas le film, si vous ne voulez rien savoir, passez votre chemin !
Adapter un chef d’œuvre de la littérature au cinéma est toujours une gageure, a fortiori lorsque ce chef d’œuvre est un énorme pavé d’une complexité rare, du moins pour un roman grand public.
« Dune » de Frank Herbert en est à sa troisième adaptation, si l’on excepte la tentative hallucinée et (heureusement ?) avortée de Jodorowsky dans les années 70 :
• par David Lynch au cinéma, en 1984, avec un budget de 41 millions $ (soit l’équivalent de 108 millions $ aujourd’hui)
• par John Harrison à la télévision, dans une mini-série de 3 épisodes en 2000, avec un budget de 20 million $ (soit l’équivalent de 32 millions $ aujourd’hui)
• et enfin par Denis Villeneuve au cinéma, en 2020 et 2024 (pour l’éventuelle 2nde partie), avec un budget pour la première partie de 165 millions $
Totalement dépassé par l’œuvre, ignorant des codes du genre et contraint à condenser un roman de près de 1 000 pages dans un format de 2 heures, Lynch a livré un film boursouflé, exubérant, kitsch jusqu’au ridicule (voire au-delà) et totalement à côté de la plaque d’un point de vue scénaristique, puisque se contentant d’aligner une série d’événements et d’aventures supposés faire histoire.
Four justifié à sa sortie, le film a néanmoins bénéficié d’un étonnant regain d’intérêt ultérieurement, sans doute justifié par sa liberté de ton et quelques trouvailles visuelles, même si elles sont noyées sous des tonnes de choucroute à la crème Chantilly. Et de fait, si le film est coupable de haute-trahison vis-à-vis du roman, il a su imposer quelques images fortes dont il est difficile de se défaire dans l’iconographie dunesque, tout particulièrement celle des vers des sables et des révérendes-mères.
Dernier élément à sauver du naufrage lynchien : la musique du film, composée par le groupe de rock californien Toto (!!!) – dont Lynch ne voulait d’ailleurs pas, mais qui lui a été imposé par la production – et qui parvient à donner au film une dimension supplémentaire, ample, monumentale, à la fois très simplement et sans tomber dans la bête illustration.
À noter qu’une version longue, entièrement remontée et découpée, et reniée par Lynch, a été diffusée en série à la télévision, mais n’en ayant vu que de courts extraits, je ne me prononcerai pas à son sujet.
Les fans de l’œuvre romanesque ayant hurlé à l’hérésie devant ce dégueulando écœurant, l’adaptation restait donc à faire.
C’est ce qu’entreprit de réaliser John Harrison en 2000 pour la chaîne Sci Fi : créer une adaptation aussi fidèle que possible, de sorte que le scénario, riche, fasse passer une réalisation dont on sent qu’elle n’a pas bénéficié d’un budget suffisant.
Le résultat est très acceptable : s’étirant sur 3 épisodes pour un total de 4 heures et 30 minutes, le scénario a le temps de se développer et d’explorer nombre d’aspects totalement passés sous silence (étouffés ?) dans le film de Lynch, alors qu’ils sont absolument indispensables à une bonne compréhension des événements.
Un casting honnête et une réalisation qui se fait discrète permettent effectivement de mieux coller au roman et de pardonner les scènes d’effets spéciaux dignes d’un jeu vidéo de l’époque.
Le résultat étant à la hauteur des espérances, une suite tout aussi honorable fut tournée en 2003, basée sur les deux courts romans qui continuent Dune : « Le Messie de Dune » et « Les Enfants de Dune », toujours adaptée par John Harrison, mais dans une réalisation un peu plus léchée de Greg Yaitanes (qui réalisera plus tard une bonne partie des épisodes de… Dr House).
Toutefois, le GRAND FILM de Dune restait à faire.
Les droits du livre ayant été rachetés en 2016, la machine put se mettre en branle, et c’est le canadien Denis Villeneuve, fort de ses succès précédents (Sicario, Premier Contact, Blade Runner 2049) qui fut choisi pour réaliser LE film.
Villeneuve étant un fervent admirateur du roman (« a longstanding dream of mine is to adapt Dune »), on ne peut a priori que se réjouir de ce choix.
Et alors qu’il a obtenu un budget plutôt confortable (même s’il reste deux à trois fois moins cher qu’un film sous licence Disney genre Pirates des Caraïbes ou Avengers) et la possibilité de scinder l’histoire en deux parties pour mieux en développer tous les aspects, est-on arrivé au bout de nos peines et pouvons-nous enfin nous régaler de l’adaptation tant attendue ?
Eh bien non.
Car sans être un fiasco total comme avait pu l’être l’immonde diarrhée lynchienne, le film de Villeneuve, tout du moins dans sa première partie (et rien ne dit qu’il y en aura une seconde), passe complètement à côté de l’objectif.
Et de vous expliquer pourquoi ci-après.
Qu’est-ce que Dune de Frank Herbert ?
Car pour bien expliquer ce qui ne va pas, encore faut-il savoir de quoi on parle.
Dune, sur le principe, et sous la forme d’un space opera, il s’agit d’un bête roman initiatique comme il s’en écrit tant, surtout cette dernière décennie.
Dans les années 60, au moment où sort le roman d’Herbert, sans être totalement novateur, on n’est pas non plus dans la situation actuelle où tout roman « jeune public » épuise jusqu’à la trame le même arc narratif.
Car oui, Dune est un roman… allez, peut-être pas « jeune public » ou « enfants », mais « jeunesse », oui, absolument.
Et tout dans la narration vient corroborer cela : un ado perd son père, découvre qu’il est « spécial », vit des aventures et doit surmonter des épreuves, découvre l’amour et la sexualité et au final triomphe de ses ennemis.
Tout ceci est d’une extrême banalité.
Ce qui différencie Dune des autres romans du genre, c’est qu’il ne prend pas le lecteur pour un imbécile. Outre un style et un vocabulaire d’un bon niveau, le roman ne se contente pas de mettre bout à bout une série d’aventures plus ou moins rocambolesques dont le héros se tirera soit par un recours à la magie, soit grâce à l’aide d’un deus ex machina.
Car ici, nous avons la lutte d’un adolescent contre l’univers tout entier. Et c’est un univers extrêmement complexe, avec de la politique, de la sociologie, de la diplomatie, de la religion, de la stratégie, de l’écologie, de la philosophie, de la psychologie, et tout ce qui fait qu’un univers est un univers.
Dune n’est pas un roman d’aventures.
Dune est une bible, au sens premier du terme, c’est-à-dire un Livre, avec un L majuscule, de ces ouvrages qui sont une Révélation, quasiment au sens mystique du terme (ça n’est pas pour rien qu’une tentative de religion basée sur l’ouvrage a germé à la fin des années 70).
C’est une boîte à outil et une pile de matériaux dans lesquels le lecteur, a priori un adolescent comme le héros, va pouvoir trouver tout ce dont il a besoin pour appréhender et développer ses propres outils pour comprendre le monde qui l’entoure.
Chaque chapitre, chaque paragraphe, chaque ligne, chaque mot du roman est choisi délibérément, avec le plus grand soin, pour délivrer un sens, une leçon.
L’adolescent ou le jeune adulte qui le lit y trouvera sinon des réponses, du moins des outils qui lui permettront de se construire et de (se) grandir.
Et en avançant dans la vie, ce même lecteur pourra se référer à l’ouvrage pour aborder les épreuves de l’existence et comprendre les enjeux et les rouages de ce qu’il vit, tout comme le faisaient et font encore les croyants des trois grandes religions du livre.
Ainsi la « litanie contre la peur » est-elle un outil tout-à-fait pratique et concret, et elle devrait d’ailleurs, à mon sens, être enseignée dès l’école primaire aux enfants.
Si on voulait trouver des correspondances littéraires à Dune, on pourrait s’orienter vers « Le Prince » de Machiavel, pas tant dans la forme (Le Prince n’est pas un roman) que sur le fond : une série de préceptes sur la vie et le pouvoir permettant à celui qui les lit de grandir et d’affronter l’existence avec de meilleures armes intellectuelles.
Voilà ce qu’est Dune.
Alors, pourquoi le film de Villeneuve n’est-il pas LE film de Dune ?
Tout simplement parce qu’il est tombé dans le même piège que Lynch, c’est-à-dire adapter l’histoire de l’adolescent, une succession d’aventures qu’on suit sans bien comprendre ce qui se passe, mais bon, c’est divertissant. Bref, il fait des images. Oh ! il les fait bien ! Mais ce ne sont que des images qui se succèdent, sans véritable intérêt. Et l’ado qui verra le film n’en retirera rien. Même un Spiderman lui apportera davantage, c’est dire !
Pire : en adoptant un style diamétralement opposé à celui de Lynch, et qui lui est d’ailleurs caractéristique, à savoir une esthétique épurée, sèche, aride, il nous tient totalement en dehors du film, nous cantonne à l’état de simple observateur, de simple spectateur, sans qu’il soit possible à aucun moment de se projeter dans l’un ou l’autre des personnages, lesquels n’ont de toute façon pas de psychologie, ce qui rend impossible d’éprouver la moindre empathie pour ce qui leur arrive, un comble pour un récit initiatique !
De surcroît, de grossières erreurs de casting et de construction des personnages viennent renforcer cette mise à l’écart du spectateur. Ainsi Dame Jessica (interprétée par Rebecca Ferguson), qui est normalement une femme forte, totalement consciente et maîtresse de son corps et de ses émotions, une figure dans laquelle nombre de féministes ont pu se projeter, est ici « fade jusqu’à l’exubérance » comme dirait Desproges, et passe son temps à chouiner et à se tordre les mains d’anxiété.
Ainsi le Duc Léto Atréides, figure patriarcale par excellence (sans toxicité particulière, mais bon, on est dans une société féodale tout de même !) est joué par Oscar Isaac qui fait illusion physiquement jusqu’à ce qu’il ouvre la bouche pour délivrer un fluet filet de voix.
Comme je l’ai dit plus haut, et bien que cela me fasse mal de l’admettre, le film de Lynch avait quelques (rares, très rares) bons points visuels, à commencer par le Ver lui-même et les Révérendes-Mères.
Villeneuve reprend grosso-modo le même Ver que Lynch, sans innover. Quant aux Révérendes-Mères, non Monsieur Villeneuve, il ne suffit pas de coller un filet de pêche sur la tête de cette pauvre Charlotte Rampling pour faire un personnage mémorable !
Il n’échappe pas non plus au ridicule, avec des scènes dignes de Sankukai, ou un Baron Harkonnen qui barbote dans une nappe de pétrole (pour montrer les enjeux écologiques ?). On passera également sur les scène rajoutées et inutiles, ou les personnages incongrus (Jason Momoa, sorti de son aquarium pour l’occasion).
Au final, de ces 2 heures et demie de film, rien ne ressort. Même le désert, supposément omniprésent, menaçant, pesant de chaleur, dont on devrait sentir l’odeur et le goût minéral, et qui devrait être un personnage à part entière, n’existe pas.
N’existe pas non plus la musique (?) d’Hans Zimmer, qui, s’il délaisse enfin ses zimmzimm zoummzoumm habituels de violons, délivre ici une sorte de bouillie pour chat quasi-ininterrompue qui ne prendra fin qu’à l’aide d’un Doliprane.
En conclusion, le film de Villeneuve est-il mauvais ?
Non.
Est-il bon ?
Non plus.
C’est juste un film avec des images.
Et cela vient conforter le fait que Villeneuve ne sait pas faire de films de science-fiction.
S’il parvient à un très bon résultat sur Premier Contact (Arrival), il ne s’agit toutefois pas d’un film de SF, mais d’une fable avec un message simple (deuil, carpe diem, tout ça).
Son seul autre film de SF est Blade Runner 2049 qui, à mon avis, pèche à peu près sur les mêmes points que Dune : de belles images, un style sec, des personnages dont on n’a rien à foutre, une volonté d’expliquer des choses qui n’ont pas besoin de l’être, un cahier des charges de la production avec des scènes d’action inutiles, et un tout totalement plat, pas désagréable, mais fade et qu’on oubliera rapidement.
Voilà ce qu’il a fait de Dune.
Et c’est triste.
Bref, (re)lisez le roman. Et faites-le découvrir autour de vous. Surtout aux jeunes (à partir de 13-14 ans). Ça changera leur vie.