Lundi 2 septembre – 16h15
Soudain, le chef de la sécurité débarque dans mon bureau !
Il ne se permet ce genre de velléités qu’en cas d’extrème urgence.
« Maître, nous avons un problème ! Fort Knox fait l’objet d’une attaque ! Le personnel est en panique. Il faut intervenir, vite ! »
Le temps d’enfiler ma tenue de super-héros et je m’élance à sa suite hors de la bat-cave.
Hum… Reprenons.
Soudain, mon chien déboule dans mon bureau !
« Wouwouwou houuuuu ! »

Il ne fait ça que lorsqu’il y a un problème : le veau se serait-il (encore !) fait la malle ?
J’enfile les bottes, j’ouvre le portail et je le suis.
Dehors, on n’entend qu’une chose : les cris des poules. Le poulailler est attaqué !
Nous nous précipitons, courant à perdre haleine (oui, bon, sur 15 mètres).
Sur place, la volaille est en panique, essayant de fuir (en vain) à travers les mailles du grillage.
Une grosse masse de plumes gît au sol : il y a eu tentative d’homicide sur Léon, le coq, qui heureusement a pu échapper à l’assaillant, mais en y laissant une bonne part de son panache caudal et de son plumage de croupion.

J’inspecte partout : toutes les poules sont là, en état de stress intense, mais indemnes. C’est Léon qui a été la cible unique de l’attaque. Mais comment est-ce possible ? Et pas la moindre trace de l’intrus ! J’examine les alentours immédiats du poulailler… et là-bas, au loin, à l’entrée de la propriété, je vois une tête de renard. Je le fixe dans les yeux, il soutient mon regard, puis disparaît. Serait-ce lui le coupable ? Ou s’agit-il d’une coïncidence ?
Si le poulailler s’appelle Fort-Knox, c’est parce que nous avons fait en sorte que les prédateurs les plus fréquents sur le secteur – les renards, pour ne pas les nommer – ne puissent y pénétrer.
Ici, les goupils sont légion, et il n’est pas rare d’en croiser, principalement la nuit, mais aussi de jour pendant la période où la femelle allaite les petits et où le mâle doit chasser pour toute la famille.
Lorsque nous nous sommes installés et que nous avons pris les premières poules sur la ferme, nous n’envisagions pas de les laisser en captivité : nous ouvrions le poulailler le matin et le refermions le soir, pensant (naïvement) que cela était suffisant pour assurer la sécurité des gallinacées.
Mais après trois « disparitions » (seule la poule disparaissait, ses plumes restaient apparemment sur place) et un flagrant délit, il était impératif de revoir notre système de fonctionnement.
Deux choix s’offraient à nous : soit nous déclarions une guerre totale à la gent vulpine, lui promettant du plomb, du sang et des larmes, soit nous trouvions une solution permettant une cohabitation sinon amicale, du moins neutre.
Je n’ai jamais considéré que la faune sauvage représentait un danger par elle-même, surtout dans nos contrées. Bien sûr, croiser un grizzly, un gorille, un rhinocéros, un tigre du Bengale ou même une maman sanglier avec ses petits peut raccourcir notre espérance de vie de façon drastique. Ceci étant, un minimum de bon sens permet généralement de ne pas avoir à en arriver à des extrémités regrettables.
Mais le simple fait que cette faune sauvage existe est la preuve d’un environnement pas encore trop pourri écologiquement. Qui plus est, les prédateurs jouent un rôle prépondérant dans l’équilibre écologique. Qu’un prédateur vienne à disparaître et ses proies habituelles vont se mettre à pulluler, avec les conséquences néfastes que cela peut entraîner.
Dans le cas présent, en France, le renard est encore considéré officiellement comme faisant partie des « nuisibles » et sa « destruction » est donc recommandée.

Pourtant, chaque renard mange environ 10 000 rongeurs par an, rongeurs qui s’attaquent, eux, aux récoltes agricoles et y font des dégâts très coûteux. De plus, les études scientifiques ont démontré que, lorsque les populations de rongeurs s’accroissent, on assiste en parallèle à une recrudescence de la présence des tiques et des maladies qui vont avec. Enfin, les renards nettoient la nature des charognes et des animaux malades, évitant ainsi la propagation d’épidémies. Mais apparemment, il vaut mieux trucider les renards et épandre du poison dans la nature pour tuer les rongeurs. Il faut croire que c’est bon pour le PIB.
La rage ayant été totalement éradiquée depuis 2001, les seuls reproches qu’on peut actuellement encore faire au renard sont :
• primo : de croquer les faisans d’élevage lâchés en pleine nature en début de saison de chasse et de priver ainsi les taquineurs de détente de la joie de flinguer un oiseau quasiment incapable de voler et ne comprenant rien à ce qui lui arrive ;
• secundo : d’être un animal « sauvage », c’est-à-dire hors du contrôle humain.
On ne m’ôtera pas de l’idée que c’est surtout le second point qui conduit notre belle administration à le considérer comme nuisible. Et décider de tuer tout ce qui est sauvage parce que c’est sauvage ne me semble pas la preuve d’une intelligence fulgurante.
Dans tous les cas, j’ai tendance à penser que si un éleveur se fait bouffer son cheptel, c’est peut-être aussi que l’éleveur est moins compétent, moins efficace ou moins motivé que le prédateur et qu’il devrait sans doute changer de métier. Dès lors, il est hors de question pour moi de fourbir mes armes. Et si le goupil vient chez moi, c’est peut-être aussi parce que je me suis installé chez lui. Nos territoires respectifs se superposent ? Agissons avec intelligence.
Une poule, pour être bien dans ses baskets, a besoin au minimum de 10 m² de parcours extérieur. Mon cheptel à plumes se composant de 4 poules et d’un coq, j’ai délimité un secteur de 50 m². Je l’ai clôturé à l’aide d’un grillage de 2 mètres de haut, avec des mailles de 10 cm.
Un renard mesure environ 80 cm de long (sans la queue), 40 cm au garrot et pèse dans les 7 kg. Aucune chance qu’il puisse passer par les mailles du grillage ! Un chat pourrait éventuellement l’escalader, mais le renard, comme tous les canidés, est un mauvais grimpeur et la possibilité qu’il franchisse un obstacle de 2 m de haut est quasi nulle.
Par contre, notre ami rouquin sait creuser et il est même assez efficace en la matière. C’est pourquoi des blocs de granite ont été disposés sur la base du grillage afin de le maintenir au sol et d’empêcher toute tentative de passer dessous, soit en se faufilant, soit en creusant.
Bref, mon poulailler, c’est Fort-Knox !
Mais aucune forteresse n’est imprenable. La preuve : cette masse de plumes À L’INTÉRIEUR de l’enceinte !
Listons les possibilités :
• une buse, ou un autre rapace, aurait mené l’attaque depuis les airs, se jouant ainsi de la clôture ? Ici, en Bretagne nord, les rapaces sont petits et ne représentent pas une menace pour la volaille. De plus, le parcours des poules est intégralement arboré, ne laissant que peu de visibilité pour une attaque en piqué.
• un chat sauvage de bonne taille aurait escaladé le grillage ? C’est possible. Je ne connais pas d’exemple d’attaque de poulailler par des chats sauvages. Ceux-ci sont d’ailleurs en voie de disparition, donc rares. La probabilité pour que ce soit ça est par conséquent très faible.
• s’agirait-il d’un petit prédateur, comme une fouine, un furet, voire une belette, dont la taille et la morphologie permettent le passage entre les mailles du grillage ? Il y a des martres sur le secteur, mais elles ne s’en prennent pas aux poulaillers. J’ai déjà aussi aperçu une belette, une fois, à plusieurs kilomètres de là, ce qui indique qu’il doit y en avoir… Peut-être…
• serait-ce enfin un renard qui aurait réussi à passer le museau à travers le grillage et à choper le coq au passage ? le goupil est plus malin que ça et il ne s’attaque pas à une proie vivante et de bonne taille s’il n’est pas certain de pouvoir l’emporter rapidement.
Il faut en avoir le cœur net !
Ne sachant ni par où ni comment l’animal s’est introduit dans la place, je pose deux caméras de chasse à infrarouge devant la scène de crime. Je renforce aussi la porte de la partie intérieure du poulailler, pour être certain que mes poules seront en sécurité pour la nuit. Enfin, je pose une cage-piège avec un bol de pâtée pour chat comme appat.
Le lendemain matin, je passe en revue les photos de la nuit. J’y vois défiler la faune habituelle, à savoir les chats du quartier, dont le mien, et… le renard !

En fait, ça n’est pas vraiment une surprise : depuis que je m’amuse avec les caméras de chasse, il se passe rarement une nuit sans que j’aie une photo du rouquin en train d’effectuer sa tournée de routine. Le renard est un opportuniste : qui sait ? un jour il y aura peut-être eu un oubli, une porte laissée ouverte, une poule qui se sera échappée… Et jusqu’à présent, je n’ai eu aucune mauvaise surprise. Je vous l’ai dit : Fort-Knox !
Donc rien d’anormal jusque là.
Sauf que…
Une bête, assez grosse et non identifiable en l’état, apparaît au cours de la nuit DANS l’enclos !
Je file aussitôt au poulailler et vérifie absolument tout : le grillage, les murs, le toit, les arbres… rien ! aucun trou, aucune planche branlante, pas la moindre issue par laquelle passer, sauf à escalader le grillage.
Je suis désormais convaincu : un chat sauvage a élu domicile chez moi et entend bien se goinfrer de mes poules ! Me voilà bien embêté : je ne peux pas poser un grillage horizontal pour empêcher quiconque de pénétrer par le haut à cause des arbres. Que faire ?
J’en suis encore à me gratter dubitativement le cuir chevelu que le chef de la sécurité débarque derechef dans mon bureau !
« Wouf waf ! »
Ce qui signifie à peu près « Y a un truc bizarre, tu devrais venir voir. »
Je sors, tends l’oreille… Il y a bien une poule qui caquète, mais c’est tout.
Le vigile insiste : « Je te dis qu’il y a un truc pas normal. »
Bon.
Je vais donc au poulailler. Et là, je vois, de mes propres yeux, l’inconcevable.

Tapi dans un fourré à proximité immédiate du grillage, mais à l’extérieur de l’enceinte, et attendant patiemment le bon moment, un renard lorgne sur une des poules. Il me voit arriver et d’un claquement de doigts, ZOU ! il est à l’intérieur ! Il est littéralement passé au travers du grillage ! Oui, par une maille de 10×10 cm.
Prenez une règle et vérifiez : ça n’est pas gras, 10×10 cm ! eh bien le rouquin est passé là-dedans comme dans du beurre ! Je fais rapidement le tour jusqu’à la porte : je n’ai pas envie de piéger un renard dans le poulailler avec ses occupantes ! Lui revient sur ses pas et POUF ! il retraverse comme un rien et disparaît vers les pâtures et les talus environnants !
Inconcevable ?
Pour un renard adulte, oui.
Les bébés renards naissent habituellement autour des mois de mai et juin. Tant qu’ils sont renardeaux, ils ne s’éloignent pas du terrier et Maman veille sur eux et les nourrit.
Mais là, nous sommes en septembre, et les renardeaux sont grands… mais pas encore grands comme des adultes ! Ce que j’ai vu là, c’est un jeune renard de trois ou quatre mois, plus un renardeau et pas encore un adulte… un renard ado ! Sa petite taille lui permet de se faufiler à travers les mailles de mon grillage sans le moindre problème ! Et il n’a pas encore tous les codes de la chasse : il ne sait pas qu’il vaut mieux commettre ses méfaits nuitamment, ni trop traîner à proximité immédiate des habitations, surtout quand il y a des chefs de la sécurité qui veillent.
J’ai donc récupéré tout ce qu’il me reste de vieux bouts de grillage, de grilles de clapiers et autres pour renforcer temporairement la clôture, et ce matin, je suis allé acheter un nouveau rouleau de grillage, avec des mailles très serrées, qui a été posé cet après-midi.

Cette fois-ci, mon poulailler, c’est vraiment Fort-Knox : imprenable !
Jusqu’à la prochaine fois.
