Cette année, à la ferme, nous avons décidé de refaire du poulet.
Mes poules ne couvent pas : sont-elles trop vieilles ? Léon, le coq, fait-il mal son travail ? J’ai donc mis une dizaine de leurs œufs en couveuse.

Pour ceux que ça intéresse, j’utilise une couveuse Novital Covatutto 16 œufs. Je l’ai déjà utilisée par le passé et ça fonctionne plutôt bien si on fait attention.

En parallèle, j’ai aussi acheté à un volailler cinq poulets démarrés. De quoi s’agit-il ? Ce sont des poulets vivants, d’une variété destinée à la consommation (donc pas de la pondeuse), âgés de quatre semaines et pesant chacun entre 750 grammes et un kilo.

Pour comparaison, les poulets vendus en grande surface font entre un kilo et un kilo et demi, c’est-à-dire qu’ils sont à peine plus âgés et plus gros que ceux-ci.

Au total, entre les poussins qui devraient naître et les poulets démarrés, je table sur une bonne douzaine de poulets pour l’année à venir, qui devraient donc finir d’abord dans mon congélateur, puis dans mon assiette. Voilà pour la théorie. Voyons maintenant la pratique.
Les œufs de poule incubent durant 21 jours. Au bout d’une dizaine de jours, j’ai miré les œufs, c’est-à-dire qu’à l’aide d’une puissante lampe-torche, j’ai regardé l’intérieur de l’œuf à travers la coquille, par transparence. Normalement, les œufs fécondés et se développant bien doivent laisser apparaître une masse sombre et un réseau de veines correspondant au foetus qui deviendra poussin. Voici un exemple tiré du site couveuseautomatique.fr :
Chez moi, les coquilles épaisses ne laissaient passer que peu de lumière et le résultat n’était pas flagrant. Une couveuse ne consommant que peu d’électricité, j’ai décidé de tout laisser en l’état et de voir ce qu’il adviendrait.
Au matin du 21e jour, il y a eu un craquement de coquille, suivi de petits tchip tchip tchip aigus : un poussin était en train d’éclore.

Malheureusement, des dix œufs, seul celui-ci a éclos. Pire : le poussin, malformé, était incapable de tenir sur ses pattes et il est mort quelques jours plus tard malgré les soins que nous lui avons prodigués. Après contrôle, il s’est avéré que sur les dix œufs, un seul avait été fécondé. Ainsi, Léon le coq, non content d’être une pompe à vélo (ainsi que mon voisin appelle prosaïquement ses taureaux lorsqu’ils sont incapables d’inséminer les vaches), transmettait de plus des gènes pourris ! Léon est beau, Léon chante bien, mais Léon est inutile à la ferme ! Sa seule chance est d’être trop vieux pour passer à la casserole.

Ne restaient donc plus que les cinq poulets démarrés. L’avantage avec ces poulets, c’est que c’est facile et que les résultats sont visibles rapidement. Mais c’est la dernière année que j’en fais. Pourquoi ?
D’abord parce que la variété est hyper-fragile : il s’agit d’une sélection entièrement dédiée à la production de viande. Dans une optique de productivité, l’animal devant être de toute façon abattu rapidement, il n’est tout simplement pas fait pour (sur)vivre.
D’ailleurs, j’ai essayé de conserver un coq par le passé, Maurice, pensant naïvement pouvoir le croiser avec mes poules. Le bestiau était énorme, peinait à se déplacer, encore plus à grimper sur les poules, ronflait comme une cafetière et il est finalement mort au bout d’un an et demi seulement d’une crise cardiaque : tros gros, trop fragile. À tel point qu’on doit laisser ces poulets enfermés dans un petit enclos, bien au chaud, sous peine d’en voir crever une bonne partie. Et encore : nous leur laissons beaucoup de place en leur mettant à disposition une aire paillée de bonne taille, alors que les consignes sont de leur laisser le moins de place possible ! Soi-disant que, s’ils bougent trop, la viande sera dure, ce qui est bien évidemment ridicule : un animal qui bouge, c’est animal qui fait du muscle et pas du gras. Et ce que nous mangeons, justement, c’est le muscle, et pas le gras !
Éthiquement, j’ai beaucoup de mal à justifier la production de telles variétés dans ces conditions. Si j’élève moi-même mes bêtes, ça n’est pas pour tomber dans les mêmes travers que l’industrie.
En parlant des travers de l’industrie… les poulets sont fournis avec un peu d’aliment en granulés, le même que celui qu’ils ont eu dans leur élevage de naissance. Ainsi, on peut effectuer une transition douce entre la nourriture à laquelle ils sont habitués et la nourriture que nous leur donnerons par la suite.
Malheureusement, il est impossible d’avoir la liste des ingrédients qui composent ces granulés : l’éleveur achète ça à la tonne et les stocke en silos. Alors quand vous lui en prenez un sac, y a pas la petite étiquette avec la composition. Tout au plus obtient-on un « Oh ! c’est plein de bonnes choses ! Et ils adorent ça ! » quand on pose la question au vendeur.
Et c’est vrai que pour adorer ça, les poulets adorent ça ! Je ne sais pas ce qu’il y a là-dedans, mais ils sont carrément accros !
À titre personnel, je fais un mélange de grains : blé, maïs, orge, avoine, que je mixe assez finement, mais pas trop non plus, je ne veux pas faire de la farine. Eh bien, quand je mélangeais grains et granulés pour faire la transition, les poulets triaient dans la mangeoire et ne becquetaient que l’aliment industriel ! Là encore, si j’élève mes poulets, ça n’est pas pour enrichir les industriels de l’alimentation animale par ailleurs.
Et d’ailleurs, pourquoi est-ce que j’élève mes poulets ?
Il suffit d’avoir goûté un jour une volaille fermière et de comparer ça au goût des poulets de supermarché pour comprendre.
De plus, je veux savoir et contrôler ce que mangent les animaux que je consomme, ainsi que leurs conditions d’élevage et d’abattage. Oui, je mange de la viande. Mais c’est parce que je mange de la viande que je respecte l’animal qui me nourrit. Et si l’animal doit avoir une vie courte pour me nourrir, alors j’estime qu’il est de mon devoir que cette vie soit la plus confortable et la plus saine possible, tant pour l’animal que pour moi ensuite en tant que consommateur.
Un animal stressé, mal soigné, mal nourri, à l’existence misérable et à l’abattage indigne est une honte tant éthiquement que qualitativement pour celui qui l’élève, et ceux qui se prétendent éleveurs en ne considérant les animaux que comme de la matière première devraient immédiatement être interdits d’activité.
C’est la raison pour laquelle non seulement j’élève les animaux que je mange, mais aussi que je les abats moi-même. La société contemporaine a coupé le consommateur de la réalité : un nugget chez KFC (ou ailleurs) n’est plus lié, dans son esprit, à l’animal qui a vécu. C’est juste un aliment (et encore, ça se discute), au même titre qu’un gâteau ou qu’une barre chocolatée. Pour beaucoup (trop) de mes contemporains, la nourriture vient du supermarché, l’eau du robinet et l’électricité de la prise. C’est ne pas voir plus loin que le bout de son nez, et surtout c’est nier tout ce qu’il y a en amont et toutes les pratiques, plus ou moins acceptables, voire douteuses, qui vont avec. Les différents scandales liés à l’industrie agro-alimentaire en sont la preuve.
Voilà pourquoi je n’achète pratiquement pas de viande dans le commerce, même de détail. Et pourquoi je ne ferai plus de poulets démarrés.
Ceci étant, mes poulets, désormais nourris à l’aide de mon mix de grains complété d’un autre aliment dont au moins je pouvais contrôler les ingrédients (pas d’OGM ni de composés « bizarres »), ont rapidement pris du poids et, à peine un mois et demi après leur arrivée, ils sont à un poids acceptable.

S’il est un moment désagréable dans l’élevage, c’est bien celui de l’abattage. Sauf à être un psychopathe totalement dénué d’empathie, personne n’aime l’acte de tuer, même une poule, laquelle ne se trouve pourtant pas dans le Top 5 des animaux mignons et qu’on affectionne.
Mais je préfère tout de même le faire moi-même : au moins, je sais que c’est fait proprement.
De fait, nous faisons en sorte que l’animal soit le moins stressé possible. Entre le moment où il sort de son enclos habituel et l’heure du décès, il s’écoule à peine deux minutes, court temps que le poulet passe majoritairement sous un linge opaque, donc dans le noir (ça le calme).
Nous procédons par décapitation. Ça peut paraître violent (et de fait, ça l’est), mais ça a bien des avantages, le principal étant que l’animal n’a pas le temps de souffrir, le cerveau étant instantanément déconnecté du reste du corps et très rapidement à court d’oxygène. La mort est rapide, sans douleur, quasiment sans stress.

Une fois vidé de son sang, on trempe rapidement la carcasse dans l’eau chaude, afin de dilater les pores de la peau et faciliter ainsi la plumaison.

Une fois bien plumé, on le nettoie à l’eau froide vinaigrée pour éviter la prolifération bactérienne et enlever les derniers petits bouts de plumes, on le vide… et voilà !

Au final, nous avons cinq poulets de 3,4 kg en moyenne (une fois plumés et vidés).
BILAN :
Dépenses :
• 5 poulets démarrés : 17,50 €
• aliment : 29,50 €
• grain : gratuit (glanage et échange)
• paille : gratuite (échange)
TOTAL DÉPENSES : 47,00 € (soit 9,40 € par poulet)
Recettes :
• 5 poulets de 3,4 kg à 4,50 € le kilo (prix minimal constaté en supermarché) : 76,50 € (soit 15,30 € par poulet)
Résultat :
Recettes – Dépenses = + 29,50 € (soit 5,90 € par poulet)
et la satisfaction d’avoir une viande de qualité, élevée et abattue avec respect, même si des améliorations sont encore possibles.